Maurice Boulle fut élève de l’École Normale de Privas de 1945 à 1949 où il passa le baccalauréat et suivit la formation professionnelle, puis il effectua son service militaire en 1951 et, après avoir enseigné à Saint Pierre-de-Colombier, à Genestelle, au cours complémentaire de Largentière, il devient professeur d’enseignement général (français, histoire, géographie) au Collège de Villeneuve-de-Berg ; il y restera jusqu’en 1983. Élise Boulle était en charge des classes de 6e et 5e, Maurice Boulle, de celles de 4e et 3e. Grâce au couple, le collège obtenait un taux record de succès au BEPC. Maurice Boulle fut un enseignant hors pair mais son activité ne s’arrêta pas là. Il s’est beaucoup investi dans l’éducation populaire, dans l’organisation de colonies et de camps de vacances où il introduisit la mixité sociale et sexuelle, dans toutes sortes d’engagements bénévoles, dans l’activité éditoriale au sein de deux excellentes revues, la Revue des Enfants et Amis de Villeneuve de Berg et Mémoire d’Ardèche et Temps présent. Il avait la passion de l’histoire, tant comme passeur de mémoire que comme auteur d’ouvrages consacrés à des épisodes importants de l’histoire ardéchoise. Le dossier établi par la classe de 4e du Collège de Villeneuve-de-Berg en 1977 sur la Grange de Berg est exemplaire. Il comporte une approche archéologique et architecturale du site, puis l’historique du lieu, débouchant sur la mise en évidence de l’importance des ordres religieux en Vivarais au Moyen Âge, la Grange de Berg ayant été fondée par les moines cisterciens de l’abbaye de Mazan. Maurice Boulle était aussi un amateur d’arts, une personne engagée, un militant d’une laïcité ouverte. Agnostique, il était un chercheur de sens. Il était pleinement un citoyen, un Républicain convaincu.

Je vais revenir maintenant sur différents aspects de la personnalité de Maurice Boulle, en commençant bien sûr par cette vocation admirable qui le portait, comme me l’avait dit Élise Boulle, à mener chaque élève jusqu’à son maximum, à offrir à tous l’accès à la culture et à leur transmettre l’amour des livres. Claudette Pradal a dressé un portrait très sensible de l’enseignant Maurice Boulle dans le Cahier MATP 102, p. 9-13. Cette vocation de la pédagogie a très vite franchi les murs de l’école pour se manifester dans des soirées d’animation, des sorties nature, des échanges de classes, par exemple entre l’Ardèche et la Savoie, les jeunes ardéchois apprenant à skier et les jeunes savoyards à pratiquer le kayak. Ces échanges comportaient aussi bien sûr des sorties culturelles. De 1947 à 1963 Maurice Boulle anima puis dirigea camps et colonies de vacances, notamment à Saint-Martin-d’Ardèche où il dirigeait un camp d’adolescents venus de tous les départements de France, à raison de deux sessions par été, dont il rend compte d’une manière détaillée dans un numéro datant de 1962 de la revue Envol2.

2 Revue Envol : revue publiée par la F.O.L. (Fédération des Œuvres Laïques) de l’Ardèche.

Après la classe, Maurice Boulle jouait au volley avec les internes. Maurice et Élise s’investissaient beaucoup. Comme me l’a dit Marie-Jeanne Barth, « ils vivaient par et pour les élèves ». À la retraite, Maurice Boulle continua à animer des soirées, à donner l’envie de lire, de se cultiver. Ses méthodes d’enseignement passaient d’abord par un grand souci de clarté. Expliquer toujours. Approfondir par des connaissances poussées, par une vaste documentation puisée dans les livres. Maurice et Élise Boulle étaient si passionnés par l’enseignement qu’ils ont transmis leur vocation à beaucoup de leurs élèves.

Un peu plus tard, étant retraité, dans une de ces soirées qu’il animait, Maurice Boulle déclara à son auditoire que son rêve était d’aller en Bretagne, ce qui surprit très fort ses anciens élèves ! Son enseignement de la géographie était si vivant et si documenté que ses jeunes auditeurs étaient persuadés qu’il avait beaucoup voyagé, alors qu’il semble avoir très peu quitté l’Ardèche.

Avant d’être un historien, Maurice Boulle a donc été un pédagogue et c’est dans la recherche de documents pour les élèves de sa classe qu’il s’est initié au travail de l’historien. Voici comment celui-ci est décrit par Jean-Louis Issartel :

Sa démarche, associée à ce souci de pédagogie, est beaucoup plus liée au pragmatisme qu’à une conceptualisation désincarnée de modèles historiques. Elle place le document au cœur des interrogations. Mais le document n’est pas seulement livré brut ou donné comme illustration d’un propos. Le voici questionné avec méthode, daté, replacé dans son contexte, identifié avec précision, analysé, disséqué, éclairé… Il suffit pour s’en convaincre de feuilleter ses nombreuses productions non seulement dans les revues auxquelles il a contribué, mais aussi dans un ouvrage comme Révoltes et Espoirs en Vivarais. Humilité de l’historien devant le fait, voilà ce qui caractérise l’approche de Maurice, qui ne comptait pas les heures et les jours passés aux Archives départementales de l’Ardèche. En second lieu, sans prétendre atteindre tous les objectifs d’une histoire totale, l’œuvre de Maurice Boulle se place bien dans la tradition des Annales, ne se contentant pas d’explorer la sphère du politique et des élites, mais s’interrogeant sur les questions pratiques du quotidien, l’état des chemins et des rivières, l’impact des intempéries, la forêt asile, les conditions de vie du petit peuple, décrivant aussi bien le règlement intérieur d’une coopérative viticole, ou le budget de Villeneuve-de-Berg sous Louis XIV, que les espoirs et les combats des plus humbles, voire des exclus et des marginaux promis parfois à la prison et au gibet. Surtout, Maurice n’a pas éludé la sphère des mentalités, explorant, lui, le laïque, sans détour et sans complexe, le fait religieux si prégnant dans le passé de ce pays. Il n’a pas échappé non plus au courant qui, au tournant des années 80-90, celles du retour de l’individualisme, a braqué le projecteur de l’histoire sur certains personnages et fait de l’étude de parcours individuels un genre particulièrement prisé. Mais même si le déploiement de cette quête tous azimuts doit beaucoup aux impératifs de production des revues qu’il animait, c’est bien sa recherche d’une approche globale des sociétés du passé qui le rendait si disponible. Enfin, le regard qu’il nous donne de ce passé est profondément humain, connecté à l’époque décrite, mais un regard qui reste lucide. L’histoire est bien une science humaine, mais pour Maurice Boulle c’est une science avant tout. Une science à mettre à la portée de tous. [MATP 102, p. 33-34]

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