La voie Romaine du massif central de Costeraste aux Échelettes

Des itinéraires conduisant de la vallée du Rhône au Massif Central à travers les Cévennes existaient certainement depuis des temps immémoriaux1 lorsque les Romains les empruntèrent et aménagèrent certains d'entre eux. Un de ces trajets se détachait de la voie des Helviens immédiatement après que celle-ci, venant d'Alba, ait franchi le col du Chade2. Cette bifurcation, marquée par le milliaire sud X, était donc à 10 milles (environ 15 km) d'Alba sur la voie des Helviens. Tandis que cette dernière poursuivait vers le sud par la crête de Costeraste en direction de Saint-Germain, la voie du Massif Central se dirigeait vers le nord-ouest, en direction de Mias et d'Aubenas par la descente des Échelettes. Elle traversait l'Auzon par un pont dont subsiste un morceau de pile.

C'est à l'occasion des journées européennes du Patrimoine, en septembre 1998, que notre association a parcouru cet itinéraire jusqu'aux Échelettes, sous la conduite de M. R. Rebuffat.

1 Cf. par ex. P.-A. CLÉMENT, Les chemins à travers les âges en Cévennes et bas Languedoc, Montpellier, Presses du Languedoc, 1983.
2 Cf. « Voie des Helviens (partie I) »

Le carrefour du milliaire sud X, point de départ de la voie du Massif Central

Ce carrefour, que l'on aperçoit très bien de la crête de Costeraste (voir la photographie dans le texte cité en référence 2), peut s'atteindre également à partir de Lussas en suivant la route départementale 224 vers le sud, puis en prenant un chemin carrossable à gauche, en face du village de Chabrols. C'est le point coté 264 sur la carte IGN (carte au 1/25 000e 2938 ouest - Aubenas -). Une bâtisse ruinée aux encadrements de portes et de fenêtres blancs en constitue un repère visible de loin, surtout l'hiver, quand la végétation ne masque pas cette particularité.

C'est donc au voisinage de ce point que le milliaire Sud X de la voie des Helviens fut découvert en 1897. Son emplacement d'origine se trouvait sur une petite butte longée par le ru des Vernès, dans le lit duquel il fut trouvé, enseveli sous la terre et les cailloux. Ainsi protégé des intempéries et des crues du torrent, il s'est bien conservé et son inscription est restée très lisible. Un an après cette découverte, son propriétaire, dont on voit encore la maison en ruines sur une butte voisine, le vendit au musée de Saint-Germain-en-Laye où il se trouve toujours.

Nous sommes donc ici, en principe, à 10 milles d'Alba, sur la voie des Helviens. En fait, l'emplacement exact des milliaires n'était pas toujours rigoureusement respecté, lorsqu'il s'agissait de marquer un point particulièrement important, comme le présent carrefour. On distingue bien les trois itinéraires que l'on pouvait emprunter à partir d'ici, respectivement vers Alba, vers Nîmes et vers le Massif Central. La voie venant d'Alba débouche au col de Chade (cote 332), bien visible sur la crête de Costeraste, et descend rapidement vers le carrefour. Elle a été très abîmée par le ruissellement, n'a plus du tout de revêtement et est devenue un oued ; le col lui-même a été creusé.

Une fois franchi le carrefour, la voie des Helviens poursuivait vers le sud en remontant sur la crête de Costeraste par une pente assez douce. Actuellement, elle traverse au départ des terres longtemps cultivées, puis forme une haie et se retrouve rapidement comme un chemin encore praticable.

Il faut noter qu'une « bretelle » avait été aménagée sur la Costeraste pour permettre aux voyageurs venant d'Alba de continuer directement vers le sud sans descendre au carrefour de la cote 264. On peut donc s'étonner de la position de ce carrefour, à l'écart du trajet direct de la voie d'Alba à Nîmes et à une cote très inférieure. L'explication se trouve sans doute dans le fait que devait se trouver là un établissement, dont on ignore d'ailleurs tout, mais dont l'existence semble attestée par la découverte sur les lieux de nombreux restes de tegulæ (tuiles romaines). Il n'était évidemment pas possible de l'installer sur la crête, ni à mi-pente.

Actuellement, le carrefour des routes vers la vallée du Rhône, vers le Languedoc et vers le Massif Central se trouve sur la RN 102, près de Saint-Germain ; le déplacement date du début du XIXe siècle.

Terminons notre tour d'horizon en regardant vers le nord-ouest, dans la direction du village de Mias. C'est par là que passait la voie du Massif Central. En avançant sur le chemin qui mène à la ferme de Laprade, on peut essayer de voir le tracé de la voie. Elle se dirigeait d'abord vers l'Auzon, qu'elle traversait sur un pont dont subsiste un morceau de pile. Ce vestige se trouve actuellement à une cinquantaine de mètres de la rive gauche de la rivière, mais le lit de celle-ci s'est certainement déplacé depuis l'époque romaine. L'importance de la longueur du pont peut aussi expliquer l'emplacement de cette pile ; n'oublions pas que le pont de Saint-Germain, par exemple, mesurait au moins 60 mètres de long. Au-delà de l'Auzon, la voie romaine se dirigeait à peu près en ligne droite vers Mias.

La voie romaine de Mias aux Échelettes

La petite route conduisant à Mias se détache de la D. 224 en face d'un chemin de terre conduisant à l'Auzon ; bordée par de beaux murs de pierres, ce n'est autre que la voie romaine qui a été goudronnée. Au-delà du village, elle se poursuit sous la forme d'un bon chemin. Nous observons des ornières creusées dans le rocher qui affleure par endroits, mais elles ne datent certainement pas de l'époque romaine car les chaussées étaient alors revêtues de gravillons. Ce n'est qu'à partir du Ve siècle que, par manque d'entretien, la chaussée descend progressivement jusqu'au rocher et que les roues commencent à y creuser des ornières. À un peu moins d'un kilomètre de Mias, la voie romaine bifurque à droite et poursuit tout droit en direction des Échelettes. C'est un beau chemin dans les bois, large et bordé de murs souvent imposants. Nous nous souvenons à cette occasion que les voies romaines avaient été souvent utilisées pratiquement sans modification jusqu'au XVIIIe siècle et que les bordures en avaient été constamment refaites.Nous aboutissons ainsi sur la D. 259 que nous empruntons à notre gauche sur une centaine de mètres, pour retrouver tout de suite, à droite, à la cote 321, un sentier balisé qui n'est autre que la voie romaine. Bientôt, celle-ci coupe à nouveau la D. 259 à la cote 286, marquée par une borne kilométrique indiquant « Saint-Privat 4 km »3. La voie romaine, par laquelle nous arrivons, débouche en descente sur la route, la traverse et se poursuit juste en-dessous. Elle formait en ce point un virage "en épingle à cheveux" très serré et en forte pente.

3 Si, entre les points cotés 321 et 286, on suit la D. 259, on bénéficie d'une très belle vue sur l'oppidum de Jastres-nord.

Après traversée de la route, nous nous étonnons de l'étroitesse du chemin que nous suivons. L'explication est simple : ce sont les soubassements de la route moderne, juste au-dessus de nous, qui ont empiété sur la voie romaine et se sont appuyés dessus. Mais rapidement, la route s'écarte de l'ancienne voie et notre chemin retrouve la largeur habituelle. Il descend suivant une pente régulière, mais prononcée, au flanc d'un vaste cirque. Les murs de soutènement vers l'aval sont souvent imposants, lorsque les ingénieurs romains ont voulu éviter de trop entailler le rocher. Dans d'autres passages au contraire, la chaussée est presque entièrement taillée dans le roc, notamment dans un virage qui nous ramène au-dessus de la D. 259 que nous retrouvons après qu'elle soit allée faire un grand lacet. Une fois de plus nous vérifions que le trajet de la voie romaine est beaucoup plus court que celui de la route moderne.

La voie romaine effectuait là un nouveau virage « en épingle à cheveux » dont on voit un vestige sous la forme d'un élargissement du bas-côté de la route moderne. Ensuite notre voie se perd, peut-être en partie recouverte par la chaussée actuelle. Son tracé au-delà de ce point n'a pas encore été retrouvé avec certitude. On peut penser qu'elle suivait à peu près celui de la route actuelle qui se dirige vers Saint - Privat, pour traverser ensuite l'Ardèche à Pont - d'Aubenas. On sait que l'implantation d'un pont en ce lieu est attestée depuis le Moyen - Âge4 et R. Rebuffat n'exclut pas l'hypothèse que la traversée de la rivière se fît en ce point dès l'antiquité.

4 « Sur le pont d'Aubenas, documents », Mémoire d'Ardèche et Temps Présent, 59, 15 août 1998, p. 7-10.

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