Voies Romaines d'Alba au Rhône (du terroir de Valvignères à la vallée du Rhône)

(I) PAR LA VALLIS VINARIA

À l'occasion des Journées « Science en fête » 1997, Cévennes Terre de Lumière avait organisé une conférence de M. René Rebuffat1, suivie d'une reconnaissance sur le terrain des voies romaines qui conduisaient de la Vallis vinaria, c'est-à-dire du terroir de Valvignères, à la vallée du Rhône.

Dans sa conférence, R. Rebuffat1 s'est en particulier attaché à démontrer, textes à l'appui, la permanence de la culture de la vigne depuis l'époque romaine jusqu'à nos jours dans la région d'Alba, Valvignères et Gras2. La production de vin, dès l'époque romaine, devait être importante car plusieurs des écrits qu'il a retrouvés prouvent que des relations étroites s'étaient établies entre les citoyens d'Alba et des négociants et exportateurs de la vallée du Rhône. D'où l'intérêt de rechercher le tracé des voies qui pouvaient conduire de la Vallis vinaria au Rhône, voies qui jouaient naturellement un rôle majeur dans les échanges commerciaux liés à la viticulture.

1 Directeur de recherches au CNRS, travaille depuis une dizaine d'années sur les voies romaines d'Ardèche, études auxquelles CTL apporte son concours.
2 Cf. REBUFFAT R. « La vigne en Ardèche avant l'an 1000 », Rev. Vivarais, tome CV, 2001

Visite aux voies romaines de la Vallis vinaria

À Alba, nous nous rendons d'abord, par une rue qui descend de la place du château, vers un carrefour en forme de « patte d'oie », où se dresse un mûrier bicentenaire dit « le mûrier de LOUIS XVI » (place du Jeu du Mail). De là partent trois chemins. Deux sont d'intérêt local, mais le troisième, celui de droite, n'est autre que l'ancienne voie de Valvignères, donc le début de l'itinéraire qui nous intéresse aujourd'hui. Ne pouvant suivre cette voie, nous empruntons la route moderne qui part du centre du village pour aller retrouver la voie romaine un peu plus loin.

Peu avant Valvignères, celle-ci se détache de la route actuelle sur notre gauche, en un lieu dit Chaussay ou Chaussoy (la chaussée). Elle passe à l'est du village. M. Rebuffat a d'ailleurs eu maintes fois l'occasion de nous faire remarquer que les voies romaines n'avaient aucune raison de desservir des agglomérations qui n'existent que depuis l'époque médiévale… C'est par exemple le cas pour Balazuc sur la voie des Helviens. Nous nous arrêtons entre Valvignères et le Mas d'Intras, à l'embranchement de la route de Saint-Maurice-d'Ibie. De ce point, la vue sur la vallée est très belle. La voie romaine suit le piémont de la colline qui nous fait face ; plus loin, elle s'infiltre dans le relief, puis disparaît. Nous la retrouverons bientôt. Son tracé est bien moins sinueux que celui de la route moderne.

Peu avant Gras, une petite route sur notre gauche nous conduit à la voie romaine qui porte ici le nom d'Estrade de Gras. Elle court dans la plaine au-dessous du village. Nous quittons les voitures et avons le plaisir de marcher sur ce superbe chemin, large de 6 mètres et parfaitement sec.

De Gras à Rimouren

Suivant la route au-delà de Gras, nous voyons maintenant parfaitement la voie romaine, toujours de l'autre côté de la vallée que nous remontons vers le Mas-de-Gras. Peu avant d'atteindre ce hameau, nous nous arrêtons pour mieux l'observer. Nous avons sur elle une vue magnifique, la suivant des yeux depuis son passage au-dessous de Gras jusqu'à son débouché sur le plateau au Mas-de-Gras. Nous constatons combien elle épouse parfaitement le relief, d'une façon beaucoup plus économique que la route moderne qui, pour aboutir au même point, a un trajet trois fois plus long. Nous apercevons aussi par endroits les énormes soutènements en pierres, mais ils sont le plus souvent cachés par les buissons.

Au Mas-de-Gras, la route moderne et la voie romaine se retrouvent et c'est sur cette dernière que nous allons en fait rouler maintenant en suivant la D 462 jusqu'à Rimouren.

Le village de Rimouren est en contrebas du plateau et la voie romaine, comme d'ailleurs la route actuelle, l'atteignait par une série de lacets très prononcés. Elle traversait la rivière à gué et remontait aussitôt de l'autre côté de la vallée. Comme aux Échelettes, on a là un bel exemple de la façon dont les Romains établissaient les routes à flanc de coteau, en entaillant le rocher d'un côté et en construisant d'énormes murs de soutènement de l'autre.

Dès que la route rejoint le plateau au-dessus de Rimouren, à la cote 343, un chemin s'en détache à gauche. On se trouve là à un important carrefour de voies romaines ; celle venant d'Alba, par laquelle nous arrivons, se divisait en deux, permettant de rejoindre la vallée du Rhône soit à Bergoiata (Bourg-Saint-Andéol), c'est le chemin de gauche, soit à Lagernate (Saint-Just-d'Ardèche).
Notre route D 462, jusqu'à son croisement avec la D 4, suit le tracé de la voie de Saint-Just, puis celle-ci continue tout droit sous la forme d'un chemin forestier, dit « chemin ferré ».

Quant à la voie de Bourg-Saint-Andéol, à partir de l'embranchement situé au-dessus de Rimouren, elle se présente comme un bon chemin, dit Grande Mourade (Grande Muraille), bien conservé, car continuellement entretenu au cours des siècles. . Il est formé de plusieurs tronçons parfaitement rectilignes, dont l'un mesure plus de deux kilomètres de longueur. C'est l'exemple d'un type de tracé assez fréquent des voies romaines3. Au cours de ses conférences, M. Rebuffat a d'ailleurs eu l'occasion de nous présenter les dessins des instruments de géodésie (groma, dioptre, astérisque) qui permettaient aux ingénieurs romains de telles réalisations4. Pour atténuer l'effet des ondulations du terrain, la Grande Mourade est souvent construite en remblai, avec d'impressionnants murs de soutènement.

3 Cf. « Caractéristiques des voies romaines ».
4 On trouvera des représentations de ces instruments dans l'ouvrage de P.-A. CLÉMENT, La voie domitienne, Montpellier, Presses du Languedoc, 1989.


(II) PAR LE PLATEAU DE BAYNE

M. Rebuffat s'est posé la question de l'existence d'une voie romaine reliant Alba au Rhône en suivant la vallée de l'Escoutay. D'Alba à Saint-Thomé, il n'y a pas de difficulté, plusieurs itinéraires sont possibles. Les choses se compliquent en revanche entre Saint-Thomé et le pont romain de Viviers, car le relief y est beaucoup plus difficile. Il semble qu'il n'y ait pas eu là de voie carrossable, mais seulement un chemin pour les piétons et les mulets. En revanche, l'abbé Arnaud5, déjà, avait remarqué l'existence d'une route reliant directement Saint-Thomé à Saint-Montan par le plateau de Bayne. R. Rebuffat pense que les Romains ont effectivement utilisé cet itinéraire. Nous allons en découvrir les deux extrémités.

5 Historien, auteur notamment des ouvrages : Voies romaines en Helvie et Valvignères en Helvie.

Au départ de Saint-Thomé

Nous laissons les véhicules sous la ferme de la Pignatelle et prenons le chemin qui se dirige vers le sud. Le village de Saint-Thomé, perché sur sa butte, éclairé par la lumière dorée de cette fin d'après-midi, se détache sur un ciel d'orage. Le tableau, superbe, a inspiré quelques-uns d'entre-nous, peintre ou photographes. Nous suivons maintenant une route forestière et nous observons une fois de plus la largeur de son emprise et celle, remarquable, des murs de soutènement. C'est très certainement le début de la voie romaine vers Saint-Montan.

Au départ de Saint-Montan

Nous rendant à Saint-Montan par la route de Bourg-Saint-Andéol, nous suivons sans doute déjà, selon M. Rebuffat, le tracé d'une voie romaine. Quand au chemin qui monte vers le plateau de Bayne6, dès son départ de Saint-Montan, il accuse une forte pente, il est raviné et réduit par endroits à un étroit sentier. Mais si l'on cherche sous les buissons, on peut retrouver la bordure de pierres ; par endroits, à droite en montant, le soutènement est conservé. L'emprise du tracé laisse penser qu'il s'agit bien d'une voie romaine. Dans le village même, au début du chemin, M. Rebuffat avait d'ailleurs pu photographier quelques-unes de ces pierres de bordure. Il constate aujourd'hui que ce précieux témoin n'est plus visible, car il a été enfoui sous une couche de goudron. Nous avançons ainsi jusqu'à un virage en « épingle à cheveux » très serré et en très forte pente. Répondant à notre étonnement que des chariots puissent franchir des passages aussi difficiles, M. Rebuffat nous explique que des piquets étaient fichés au bord de la route, des cordes permettant le halage à la montée et le freinage à la descente.

Aussi bien au départ de Saint-Thomé que de Saint-Montan, on retrouve donc bien les caractéristiques d'une voie romaine, ce qui conforte l'hypothèse de l'existence d''un itinéraire qui permettait de joindre Alba à la vallée du Rhône par le plateau de Bayne.

6 Au départ, ce chemin est suivi par le GR 42, qui s'en sépare ensuite sur la droite.

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